Le XXe siècle a été riche en changements, marqué par les guerres au cours de ses premières années et par le progrès technologique frénétique au cours de ses dernières années (qui a, ensuite, débouché sur le consumérisme que nous connaissons bien). Fight Club, film de 1999 du réalisateur David Fincher, a marqué la fin du 20e siècle et le début du 21e par son côté sauvage, brutal et désespéré. Chaque phrase, chaque scène, chaque plan... tout provoque une réaction chez le spectateur.
Fight club est une critique cinglante de la société ; un coup dur pour beaucoup d'entre nous qui, parfois, s'identifient au personnage sans nom joué par le magnifique Edward Norton. Le film a fait l'objet de nombreuses critiques, beaucoup se sont sentis mal à l'aise, tandis que d'autres l'ont considéré comme un chef-d'œuvre, un final en fanfare pour le XXe siècle.
Non, ce n'est pas un film à regarder confortablement en mangeant du pop-corn, ni un film qui réveillera le romantisme le plus extrême du cinéma. C'est un film qui tient le spectateur éveillé ; au sens propre du terme. Le générique de début nous prévient, déjà, que nous allons assister à un véritable pincement au ventre, un coup dur pour notre ego.
Fight club
Le personnage principal, dont nous n'avons pas le droit de connaître le nom, est le reflet d'un homme victime de son temps. Esclave du travail, il souffre d'insomnie et perd son temps libre à acheter des objets chez IKEA. Sa seule bouffée d'air frais, il la trouve en participant à des thérapies de groupe pour les personnes souffrant de maladies graves, qui se réunissent pour soulager leur douleur.
Tout change lorsqu'il rencontre Marla, un personnage clé du film, et peu après, Tyler Durden (ou lui-même). Nous vous déconseillons de poursuivre la lecture si vous n'avez pas vu le film, car l'article contient des spoilers.
Gris, sombre, inconfortable et écœurant : Fight club est un rire sadique au visage de tout ce qui nous entoure, du monde tel que nous le connaissons, de la société consumériste à laquelle nous sommes asservis. Nous nous plongeons dans les maladies les plus sombres de notre époque, à une époque où l'on est ce que l'on possède.
David Fincher et son trio d'acteurs infaillibles (Helena Bonham Carter, Edward Norton et Brad Pitt) ont réussi à capturer et à interpréter l'essence de la fin des années 90, anticipant ce qui allait se passer, nous entraînant dans un club sombre plein de sang et d'autodestruction.
La maladie de notre temps
"Nous vivons dans un monde malade et nous sommes malades", pourrait être la façon de résumer le sentiment que Fight Club laisse au spectateur. Le film se présente comme un récit introspectif raconté par son protagoniste, mais cette introspection possède à son tour une certaine dose d'universalité.
Le protagoniste ne révèle pas son nom et se présente comme l'un des hommes les plus ordinaires. Il vit seul dans un appartement au cœur d'une grande ville, travaille comme évaluateur pour une grande entreprise automobile, souffre d'insomnie et dilapide son argent en achats.
Cette situation nous reflète tous un peu ; en même temps, ne connaissant pas son nom, nous transférons la narration de son "je" au nôtre, faisant une analyse rétrospective de notre vie. Le protagoniste vit dans un monde que nous connaissons, c'est-à-dire dans notre réalité quotidienne, dépourvue d'artifices et de fantaisie. Ses "maux" sont nos maux ou, du moins, ceux de la plupart des gens que nous connaissons.
Son principal problème est l'insomnie, mais son médecin refuse de continuer à lui prescrire des somnifères pour l'aider à dormir. Il décide, donc, de suivre une thérapie de groupe pour les personnes atteintes du cancer.
Il y rencontre Bob, un homme qui a perdu sa virilité à la suite d'une tumeur testiculaire ; un homme qui a dû se faire enlever les testicules et qui a développé des seins à cause du traitement. Le protagoniste se sent soulagé devant ces personnes et parvient enfin à retrouver son sommeil perdu.
Il n'a aucune idée de la raison de son insomnie, de l'origine du problème. En fait, il sait seulement que dans ces thérapies de groupe, il peut trouver un coin de paix, un endroit où il peut pleurer (chose qui, il n'y a pas si longtemps, semblait interdite aux hommes, car elle était comprise comme un synonyme de féminité).
Nous vivons dans un monde au rythme effréné, nous consommons pour nous sentir mieux, nous avons tout, et pourtant nous entendons de plus en plus de phrases contenant des mots comme : anxiété, stress, insomnie, dépression. Ce sont les maladies de notre époque, et notre protagoniste aussi.
Alors qu'il semble que la situation est, désormais, sous contrôle et qu'il parvient à régler le problème, apparaît Marla, la femme qui va déstabiliser cette paix apparente et qui sera à l'origine du retour de l'insomnie. Marla est comme lui ; une femme pour qui la vie n'a pas de sens, qui attend la mort et dont la plus grande douleur est qu'elle ne vienne pas. Elle participe, également, à une thérapie.
Pourquoi Marla est-elle une menace ? Parce qu'elle est l'incarnation du protagoniste, elle est le reflet de son mensonge qui, s'il était découvert, provoquerait l'effondrement de son centre d'équilibre. Le rejet qu'elle produit en lui est le rejet de lui-même. Elle participe même à une thérapie de groupe pour les patients atteints de cancer des testicules ; mais qui pourrait croire qu'une femme souffre d'un cancer des testicules ?
Cette impudeur, cette façon de profiter de la douleur des autres pour soulager la sienne rend le protagoniste fou, car Marla est sa version féminine .
Fight Club : La destruction du capitalisme
Et après Marla, voici Tyler Durden, un homme séduisant et fort qui vit en marge de la loi et du système. Il fabrique du savon, vit dans une maison que l'on pourrait qualifier de "taudis", et fait, toujours, ce qui lui plaît.
Tyler est l'antithèse de notre époque ; il est le rejet absolu du capitalisme, de l'homme moderne qui vit comme un esclave de son travail afin d'acheter des choses matérielles censées combler son vide intérieur.
Ensemble, ils ont fondé le Fight Club, la nouvelle thérapie de groupe du protagoniste. Il s'agit de réunions dans lesquelles les participants se retrouvent dans le seul but de faire ressortir leur côté le plus sauvage, leur côté bestial, le tout au son des coups. Tyler est le gourou de ce groupe, le guide spirituel ; son travail consiste à faire ressortir la colère et la rage qui sommeillent en ces hommes.
Les luttes serviront à se libérer des pressions sociales, de la condition d'esclave, mais aussi à ne pas réfléchir et à se laisser simplement emporter par le côté plus violent.
Comme l'explique Tyler, le cinéma nous a fait croire que nous pouvions être des rock stars, des acteurs célèbres, etc. Les médias nous ont dessiné des objectifs trop lointains et, en attendant, nous nous adaptons, nous nous enfermons dans un bureau en espérant avoir de quoi acheter, être quelqu'un d'autre.
L'insomnie, cette maladie contemporaine dont souffre le protagoniste, l'a conduit à dédoubler sa personnalité, à créer un nouvel Ego et à inventer Tyler. Ce dernier est le résultat d'un trouble dissociatif qui fait penser à une sorte de Mr Hyde moderne ; plus beau, plus fort et représentant tous les désirs cachés du protagoniste, ainsi que la colère accumulée, pendant des années, envers la société et le monde qui l'entoure.
Une conspiration commence à prendre forme, ils planifient "une série d'attaques fomentées par un profond sentiment de liberté", d'anarchie ; des attaques qui visent à détruire de grandes entreprises, des bâtiments et des symboles de l'esclavage moderne.
Fight club est un coup de poing, un discours nihiliste, une attaque contre la fin du siècle dernier et le début du nouveau millénaire ; un coup porté à Hollywood, au capitalisme, et même à nous. Nous avons tous, au moins une fois, souhaité être Tyler.